Cher zoongoo,
tu as dit, je cite : "The Artist : un bon film pour ronfler, scénario plus que cousu de fil blanc, encart (dialogue) faussement intelligent et autoréférence au cinéma tout aussi convenu. Peut être une belle pirouette, mais qui ne fera pas revoir les Eisenstein et autre Lang etc, par le grand public. J'aurais tendance à dire: "tout ça pour ça ?!" La seul qualité de ce film c'est de rappeler à Hollywood qu'il fût un temps ou la majorité des films produits ne s'adressaient pas qu'au ado prépubère (de 13 à 77 ans). Au jour où Hollywood tente par tous les moyens techniques (3D, imax etc) de vendre de l'image sans scénario, que cette platitude techniquement bien troussé qu'est the Artist reçoive l'oscar du meilleurs film ne m'étonne pas." Permet moi de ne pas souscrire à cette critique, qui, si elle a le mérite d'être à contre courant du flot sirupeux post-oscar, d'être sincère en fonction d'un ressenti à l'issue de la projection et de trouver des circonstances atténuantes, n'en demeure pas moins frappée d'une vision étriquée (le force de ce film est justement de parler d'hier pour mieux parler d'aujourd'hui) et souvent fausse. Le film mérite notre attention puisqu'il raconte d'abord une page de notre histoire. A l'heure où les enjeux techniques cinématographiques se succèdent comme tu en conviens toi-même (3D, imax…), le film fait un parallèle culotté (film sans son, sans couleur, sans cinémascope…) sur le passage technique du muet au parlant. De fait il aborde plusieurs thèmes intéressants à travers des séquences qui font sens à plusieurs degrés :
-l'aspect fugitif de la gloire (les spectateurs oublis vite ceux qu'ils ont portés aux nues), et rappel les fameuses minutes de gloire chères à Warhol et à notre téléréalité (comme le montre bérénice bejo, tout le monde peut devenir célèbre)
-le travail de mise en abyme purement jouissif : Le début du film explique l'enjeu : il est prisonnier, il est torturé, mais non il ne parlera pas ! beau départ pour un film muet où l'acteur se refuse à parler. C'est cohérent, pertinent, ce n'est pas faussement intelligent (HAzanavicius est tout sauf faussement intelligent, regarde la classe américaine, le grand détournement, et les OSS117 pour vérifier) Après son départ de chez le producteur, il descend l'escalier, elle le monte, ils se croisent, cette scène résume à elle seule plusieurs enjeux du film et met le doigt sur une symbolique puissante, on ne parle pas simplement de l'instant présent mais aussi de leur destin Le reflet du pauvre Valentin dans la vitre et sa superposition avec son ancien costume et la musique de Bernard Herrmann dans Vertigo retenti, notion de dualité, de double. Juste culotté et bluffant ! Le héros du film d'aventure est prisonnier des sables mouvants, c'est une chute au ralenti (quelle belle idée !), le héros est tourné vers le spectateur du cinéma, vers bérénice bejo, vers nous. Il détruit, piétine son travail, ses pellicules, à l'instar du massacre des films muets à cette époque charnière… Ce film joue sur les couches, comme un oignon dirait Schrek !
-Et sa morale consiste à aller de l'avant, vers l'avenir. La pièce musée ne respire plus la vie. Il faut agir, c'est ce que le personnage de Bérénice Béjo essaye de faire malgré le personnage de dujardin.
Donc c'est un film extrêmement subtil, d'une qualité d'écriture rare, avec une mise en scène époustouflante. Certes, tout le monde ne peut pas percevoir les multiples références, toi le premier puisque c'est moins eisenstein et lang qui sont cités, mais plutôt douglas fairbanks, chantons sous la pluie et sunset boulevard. Mais le film fonctionne aussi dans l'autoréférence, et les gens peuvent l'apprécier sans avoir vu Griffith, chaplin et autres (qui avait vu la référence à To Be or Not to be de Lubitsch via le marchand de Venise de Shakespeare dans Rio en répond plus ? Pourtant le film était poilant quand même)… Pour beaucoup se sera la découverte, la surprise de voir ce vieux cinéma, ce langage ciné old school, cette façon de (sur)jouer, de saisir le peu de différence qu'il y a entre les fans de Rudolph Valentino et de One Direction…
Bien sûr, le film est trop léché, trop clean. Il joue tellement sur une dimension symbolique que l'on peut ne pas être touché humainement (y'en a quelques scènes quand même qui sont de purs moments de grâce) et ne voir ce microcosme qu'avec distance. Ce qu'il dit aussi c'est qu'on savait raconté des histoires à cette époque, et comme l'atteste certaines séquences de ce film, elle pouvait, malgré le manque de son, de couleur, de 3D, de cinémascope… nous émouvoir et nous faire rire. Une dernière chose, ce film n'est pas une comédie, vous n'allez pas vous marrez autant que sur un OSS 117, même si c'est Jean Dujardin. Pour les spoilers (j'en ai mis plein, je crains), je ne sais pas comment gérer cela, désolé.
Pour la planète des singes, allez revoir l'armée des 12 singes de Gilliam et on comprendra certaines inspirations sur ce film inégal qui aurait pu être génial (inégal mais avec les lettres dans un autre sens quoi)!
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They are such stuff that dreams are made on et qui pisse contre le vent se rince les dents and our little life blah blah blah…
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